Conférence d'André Letourneur





Conférence d'André Letourneur le 29 Septembre 2018


L’art architectural du royaume normand de Sicile
(XIIème et XIIIème siècles).



La grande caractéristique de cet art est son caractère composite marqué par une grande influence des arts arabe et byzantin. Cela s’explique par l’histoire, la composition de la population de la Sicile à l’époque des rois normands marquée par un grand esprit de tolérance religieuse. Les rois normands régnaient sur une population tant autochtone et catholique, que byzantine et orthodoxe et arabe et musulmane.

1)    L’influence arabe.

L a   c i v i l i s a t i o n  a r a b e   d e  l ’é p o q u e  é t a i t

incontestablement plus raffinée que celle de l’Europe .

Les récits des chevaliers de retour des Croisades sont très éloquents à ce sujet. Nos chevaliers qui venaient de quitter leurs châteaux forts  furent  très  impressionnés par le luxe et le raffinement de la civilisation arabe !
Il faut dire qu’ils étaient quelque peu rustauds et se trouvaient sans préparation au contact d’un monde qu’ils pensaient barbare et dont ils ne soupçonnaient pas l’élégance.

Voici deux photos :

1- La mosquée Karaouine à Fès, construite au IXème siècle,

2- La cour des lions au Palais nasride de l’Alhambra de Grenade
au XIVème siècle.


Cinq siècles entre ces deux constructions qu’on penserait conçues par le même architecte !
La construction est ordonnée autour d’une cour rectangulaire ayant une fontaine au milieu, avec deux pavillons, deux kiosques en saillie. Première caractéristique de l’architecture arabe : très peu de différence entre le sacré et le profane; cela est dû à la nature même de l’islam: la religion pénètre partout dans la vie du croyant, tout est codifié, son alimentation, ses rapports avec ses coreligionnaires, avec ceux qui ne le sont pas, sa sexualité… La conduite de vie et le cadre de vie d’un musulman sont imposés par des règles religieuses (le Coran ou Al Sîra al Naabi). Cependant, à revenir sur le palais nasride et la mosquée Karaouine, il y a un détail qui montre que l’un est un édifice civil. Lequel ? La présence de lions dans le palais. En effet, la représentation humaine ou animale est interdite dans un lieu religieux par crainte d’adoration d’idoles.

Les conséquences de cet interdit amènent à une deuxième caractéristique de l’art musulman : une décoration abstraite et géométrique d’une rare finesse mais qui évolue peu dans le temps :

Photo 3 :
Toujours le palais nasride de Grenade, le salon des ambassadeurs réalisé au XIVème siècle, 














et photo 4, la mosquée du Mausolée Mohamed V de Rabat pendant sa construction en 1967.


Autre caractéristique : les murs extérieurs sont souvent aveugles avec des décorations en arcade (Photos 5 et 6) :
 

la tour Hassan à Rabat (XIIème siècle). A rapprocher du palais normand de Palerme (photo 6) 



et de la cathédrale de Palerme (Photos 7 et 8).

Certes, ici, ce n’est pas la même décoration (les petits arcs polylobés de la tour Hassan sont typiquement marocains de l’époque almohade), mais on retrouve le principe des arcs brisés , voire polylobés, en fer à cheval entrecroisés et non percés d’une fenêtre ( Photo 9 : façade de la cathédrale de Monreale).

Autre caractéristique de l’art arabe : la décoration intérieure : entrelacs géométriques et stalactites. Ici, à Palerme, la palais de la Zisa (= la splendeur en arabe),
construit par Guillaume 1er dit le mauvais, seconde moitié du XIIème siècle . Sa décoration est dans le même style, mais en beaucoup moins riche quand même que le salon des ambassadeurs du palais nasri de de l’Alhambra de Grenade (photos 11 et 12).

 Revenons au religieux : En voyant pour la première fois le cloître de Monreale, (photos 13 et 14)


j’ai tout de suite pensé à La Karaouine de Fès en raison du kiosque, ce pavillon en saillie. Mais, évidemment, à Monreale, comme on le voit
, les chapiteaux sont romans, et le kiosque n’a pas de fontaine aux ablutions.





2) L’influence byzantine.

Caractéristiques principales de l’art religieux byzantin : D’abord, le plan des églises en forme de croix grecque. Pour ce qui concerne la Sicile, il n’y en a guère qu’une seule construite de cette manière, (Photo 17)
Il s’agit de la MARTORANA, appelée aussi Sta Maria dell Ammiraglio, car construite par le grand amiral Georges d’Antioche, Premier ministre de Roger II et qui était de confession orthodoxe. Il s’agit donc là d’une église purement orthodoxe. C’est donc une exception, les églises normandes étant catholiques, elles adoptent le plan catholique, c’est-à-dire la forme d’une croix latine. Allons à l’intérieur (Photo 18)
pour découvrir une autre caractéristique de l’art byzantin, la profusion sur les murs de scènes tirées des textes sacrés sous forme, soit de peinture murale, soit de mosaïques très fines.

Allons hors de Sicile voir quelques édifices religieux purement byzantins.

On va commencer par Ravenne, située en Italie

(Emilie-Romagne), (Photo 19)
et sa basilique Saint VITAL, construite au VIème siècle sous le règne de l’empereur romain d’Orient Justinien (482-527-565). Ici, un mur latéral de la nef est couvert d’une immense mosaïque représentant une kyrielle de prophètes et de saints.





Sur un autre mur (Photo 20),
la mosaïque la plus célèbre de l’église qui figure dans tous les livres d’histoire : l’impératrice Théodora et les dignitaires de la cour impériale. La mosaïque est si fine que sur les visages, on en devine à peine les petits carrés. On remarque les visages figés, caractéristiques de l’art byzantin, qui ne sont pas nécessairement ressemblants mais ce sont des portraits idéalisés.

(Photo 21) Sur un autre mur,
un Christ trônant entouré de deux anges. Remarquez le visage du Christ, complètement figé, hiératique, car parfaitement conforme aux canons de la représentation du Christ dans la liturgie orthodoxe. Celui-ci est dit « en gloire » car en pied, par opposition au Pantocrator (en buste) que nous verrons plus loin.
A remarquer, la main droite du Christ : l’index et le majeur levés pour signifier sa double nature, humaine et divine, puis le pouce opposé à l’annulaire et à l’auriculaire pour signifier la Trinité.

(Photo 22) Enfin,
vous aurez tous reconnu la scène de l’adoration des rois mages.








Autre très grand monument de l’art religieux byzantin : La basilique SAINTE-SOPHIE à Istanbul. (Photo 23).
Achevée sous Justinien au VIème siècle, devenue mosquée en 1453 après la prise de Constantinople par le sultan turc Mehemet II, puis musée depuis 1934 grâce à Mustapha Kémal. Ici, dans la première coupole de l’abside une vierge à l’enfant exécutée en 867. Remarquer à droite, dans un cercle, Allah, écrit en arabe, souvenir de la mosquée.




Photo 24, une partie du plafond en mosaïque à motifs floraux.









Photo 25 :
une très célèbre vierge à l’enfant, exécutée en 1122 et couramment appelée Mosaïque de Comnène, du nom de la dynastie régnant alors sur l’empire byzantin. La Vierge tient le Christ enfant (noter les proportions) qui donne sa bénédiction à l’empereur Jean II Comnère, qui tient une bourse, symbole d’une donation impériale à l’église. A la gauche de Marie et de l’enfant, l’impératrice, Irène de Hongrie dont l’origine étrangère est marquée par la blondeur des cheveux. Photo 26 :
Le Christ Pantocrator, ou Christ en gloire représenté en buste. Celui-ci est à peine antérieur à celui que nous verrons à la chapelle palatine de Palerme, puisque refait au début du XIIème siècle.
Autre lieu célèbre pour ses mosaïques byzantines, le monastère de Kykkos à Chypre dont le mur du cloître est couvert de scènes illustrant le nouveau testament.


Photo 27 :
un Christ en croix, très hiératique également : les bras à l’horizontale, les muscles abdominaux très saillants et un jet de sang du côté droit.









Photo 28 :
elle est purement orthodoxe et complètement hors sujet par rapport à notre propos, c’est la scène de la Dormition de la vierge, jamais représentée dans l’église catholique qui lui substitue l’Assomption.







Photo 29 :
magnifique mosaïque qui m’amuse un peu : Jésus sur les genoux de Marie, elle-même sur les genoux de sa mère, Sainte-Anne… à gauche de Sainte Anne, son mari, le père de Marie qui est ??? Saint Joachim, et à sa droite, l’époux de Marie, Saint Joseph.

Voilà pour les mosaïques byzantines hors de Sicile. Mais, quand on visite la chapelle palatine ou Monreale, on se dit, en pensant aux artistes qui en ont réalisé les mosaïques, que les élèves avaient dépassé les maîtres. En fait, non, ce sont des mosaïstes de Constantinople qui sont venus réaliser les travaux.

Regardons quelques photos de la Chapelle Palatine construite par Roger II de 1130 à 1140.

Photo 30 :
Chapiteaux de style antique sur des colonnes antiques récupérées, arcs arabes, et profusion de mosaïques byzantines.







Photo 31 :
En plein milieu d’un débordement de scènes illustrant les textes sacrés, la chaire à décoration géométrique purement arabe, je dirais même arabe de l’ouest (Maghreb).





Photo 32 et 33 :
Plafond pur style arabe, les artisans avaient été envoyés par le sultan fatimide du Caire. 













Photo 34 :
dans l’abside du choeur, coiffant le maître autel, le Christ Pantocrator dans toute sa splendeur purement byzantine (photo 35) .







Photo 36 :
toujours dans la chapelle palatine, la décoration en mosaïque dans le style purement maghrébin du mur en-dessous de mosaïques byzantines.

Vous allez être en droit de vous demander, « mais il ne nous parle que des influences arabes et byzantine dans l’art sicilien normand, il y a - t- il quelque chose de normand ? »

Eh oui, quand même.
  
D’abord il y a tout ce qui est militaire, (Photo 36a)
Ici, un fortin près de Brindisi (Pouilles) 











ou encore (photo 36b)
les fortifications du port de Gallipoli (Pouilles).












Mais aussi dans l’art religieux (Photo 37) :

ici, par exemple, les tours de la cathédrale de Monreale. 








Quant au fameux cloître de Monreale (photo 38),
ces colonnes jumelées ne font-elles pas penser au cloître non moins célèbre du Mont Saint-Michel que vous connaissez tous. Revenons sur le cloître de Monreale (Photo 38), si les colonnes jumelées font penser à celle du Mt-St-Michel, certaines ont une décoration tout-à-fait de style arabe de même que les arcatures qu’elles supportent, par contre, ce qui éclate sur cette photo et montre une appartenance à la Normandie romane, ce sont les chapiteaux de pur style roman, de type historié (photo 39)
avec des scènes en général tirées de l’Ancien Testament (Photo 40) pas toujours lisibles pour nous aujourd’hui, ou de type floral  Photo 41) .

 




Voilà, j’en ai terminé et vous remercie de votre attention.

Comme vous avez été bien sages, je vous montre en prime quelques photos que je n’ai pas utilisées pour mon propos mais qui valent quand même le coup d’oeil.

 1)     concernant le palais nasride de l’Alhambra de Grenade : photos de 42 à 47,






                            














2)    concernant le mausolée Mohamed V à Rabat que nous avons vu construire au début que nous étions au Maroc, ce qui nous permis de prendre quelques photos, ce qui serait impossible aujourd’hui ( Photos 48 et 49 en particulier , puis 50 et 51 )




3)   L’intérieur d’une église à Héraklion (Crête) , il ne s’agit pas ici de mosaïque, mais simplement de peinture? ça vaut quand même le coup d’oeil ! (Photos 52 à 54)