La découverte de l'ECCE HOMO de Troïna

Avant Propos de Louis Bortuzzo sur cette découverte

L’ECCE HOMO de TROÏNA. Pr PAOLO GIANSIRACUSA

     Vous vous souvenez  de  cette splendide visite de Syracuse ? Elle a marqué les esprits des membres de notre association. Comment aurait-il pu en être autrement ! Le Prof. Paolo Giansiracusa, votre guide, grand ami du Dr Venezia, maire de Troïna, enseigne l’histoire de l’art à l’académie des Beaux Arts de Catane et à la faculté d’Architecture de Syracuse. Il collabore avec des institutions prestigieuses telles que la Fondation du Louvre par exemple. A côté de cette activité de recherche et d’enseignement, le Professeur Paolo Giansiracusa est connu pour le combat quotidien qu’il mène  en faveur de la protection et de la valorisation du patrimoine culturel.

     Notre présidente a reçu récemment, envoyée par nos amis de  Troïna, la revue qu’il dirige : Quaderni del Mediterraneo. On y trouve sous sa signature un article intitulé : « Recenti scoperte storico-artistiche nella Vetustissima Civitas dei Nebrodi ».  J’ai aimé l’analyse  de l’ECCE HOMO qu’il a découvert à Troïna.

Attention, la lecture de cet article nécessite un peu de temps. Voici, pour le lecteur pressé, un résumé des quatre pages de la traduction. L’auteur traite d’abord des relations familiales entre Le Maître, Antonello da Messina et ses disciples, puis de la révolution  des artistes vénitiens qui a tant marqué la peinture de la Renaissance et la manière de représenter ce fameux portrait de Jésus sortant de chez Ponce Pilate ;  enfin cerise sur le gâteau l’analyse de L’ECCE HOMO de Troïna, un délice.

    Un grand merci à l’auteur  qui nous a donné l’autorisation de publier sur le  blog de l’association la  traduction de son texte.

     Bonne lecture à tous. Louis.

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QUADERNI DEL MEDITERRANEO. N. 15 / 2014-2015 / Tipografia Grafica Saturnina  2016
   STUDI E RICERCHE SUI BENI CULTURALI ITALIANI A CURA DI PAOLO GIANSIRACUSA

Paolo Giansiracusa. Recenti scoperte storico-artistiche nella Civitas Vetustissima dei Nebrodi. P. 63-87

   Prélude pour un musée d’art sacré à Troïna.

Au cours de l’été 2015, avec mon ami le docteur Sebastiano Venezia, maire de Troïna et  Mons. Antonino Proto, archiprêtre de l’ex cathédrale, dans l’oratoire du Rosaire de la Civitas Vetustissima, nous avons offert aux habitants de la  communauté des Nébrodes un premier aperçu de l’imposant  patrimoine artistique  conservé dans l’église paroissiale Maria SS Assunta, autrefois cathédrale.  Il s’agit là  de la première étape d’un  processus qui, après établissement d’un accord  entre la commune et la paroisse, portera à l’institution du Musée d’Art Sacré de Troina. De cet événement, nous présentons en version abrégée, le catalogue des œuvres exposées avec, entre autre, la nouvelle datation du sceau épiscopal qui, par erreur, pendant une longue période avait été daté de  l’époque normande.  Vous découvrirez également une analyse du mobilier liturgique de l’abbé Vincent Di Napoli, l’étude inédite de l’Ecce Homo du XVI° siècle peint par les disciples  de Antonello da Messina ainsi que les considérations historiques et une étude  du tableau de l’archange Michel daté du XVI° siècle et provenant de l’ancien couvent basilien. P.G

ECCE HOMO.  Paolo Giansiracusa  Quaderni del Mediterraneo. n.15   Pag.  63-70

L’héritage artistique de l’atelier  d’Antonello.

Dans la seconde moitié du XV° siècle et  jusqu’en 1535, année de la mort d’Antonello de Saliba,  l’atelier  des  Antoni, à Messine, connut  une période de pleine activité.   Antonio de Antonio   dit  Antonello da Messina (1430-1479) en  fut le  représentant  le plus célèbre. Le laboratoire artistique des Antoni  abrita, au début l’activité du tailleur de pierre, Giovanni (doc. de 1434 à 1479) et connut sa période  la plus resplendissante pendant les années de la pleine maturité d’Antonello. L’atelier s’enrichit en 1461 de la présence de Giordanno (doc. 1461-1488, peintre, frère cadet du maitre auquel dans les années 70 vint s’adjoindre Jacobello (1456-1490) fils unique du maitre. Il hérita à la mort de son père (25 février 1479) jusqu’aux commandes  d’œuvres non terminées.

La disparition prématurée  du Maître et celle de son fils Jacobello donnèrent aux frères Antonello  de  Saliba (1466_1535) et Pietro de Saliba (doc.1497-1530) et à leur cousin Salvio d’Antonio (doc.1493-1526) la possibilité de poursuivre l’activité de l’atelier en reprenant les modèles de composition  et les traits stylistiques de leur oncle. Antonello et Pietro étaient les fils d’une sœur du Maître qui avait épousé un sculpteur sur bois d’origine maltaise, Giovanni de Resaliba ou de Saliba (1469-1510).

Giovanni eut l’occasion de collaborer à  maintes reprises avec l’atelier d’Antonello et  les encadrements ciselés  des peintures ainsi que les œuvres de charpenterie sculptées  des polyptiques et des gonfalons peints par le Maître sont surement de sa main. Son style devait certainement s’accorder  au  goût de l’époque, car il reprenait  les motifs décoratifs et les systèmes structuraux de l’architecture et du mobilier du gothique tardif. Les gonfalons de Gallodoro  et de Forza D’Agro  peuvent nous faire comprendre, même si  c’est  à minima,  le  type de travail dans lequel Giovanni de Saliba devait être expert.

Salvo d’Antonio était, lui, le fils de son frère Giordanno.  Jacobello (même si ce n’est que pour une brève période) et  ses cousins Antonello, Pietro et Salvo  développèrent l’activité  de l’atelier  voyageant dans toute la Sicile mais aussi en Calabre  et dans le nord de la péninsule italique afin de  répondre à toutes les commandes.

Le thème de l’ECCE HOMO développé  dans  le style typique de la nouvelle peinture, lumineuse et réaliste, avait été traité de nombreuses fois par Antonello et se trouvait être probablement le thème figuratif le plus demandé à l’époque. A la Renaissance,  Antonello a peint de manière bouleversante la plus importante  collection de visages  du Christ. A Vienne comme à New York, à Gênes comme à Plaisance, Venise, Lausanne… sont conservés les meilleurs modèles « antonelliens » du Christ condamné, raillé, méprisé. On pourrait presque entendre la voix du gouverneur de  Judée, Ponce Pilate : « ECCE HOMO » (évangile de Jean. 19,5). C’est  en prononçant ces  paroles que  Ponce Pilate présenta aux judéens  le Christ  couvert de plaies  sanguinolentes : il espérait que la flagellation ait constitué pour ses détracteurs une punition suffisante. Ce fut tout le contraire, et seulement le début de la Via Crucis. Ce Christ couronné d’épines, couvert de son manteau rouge, une tige de  roseau  pour sceptre et la corde au cou ne suscita aucune pitié  dans l’assistance. Le corps meurtri, le visage émacié, défiguré par la souffrance, ne provoquèrent aucune compassion au contraire, cette sortie du lieu de ségrégation et de punition fut ressentie comme une provocation.  « Le  Voilà », mais la punition infligée par Pilate ne fit qu’accroître le ressentiment des judéens.

Les œuvres citées ci-dessus (certaines  d’ailleurs signées) sont celles qui peuvent être, avec  le  plus de certitude,  attribuées  au pinceau d’Antonello. Dans toutes, il est possible de retrouver la trame typologique de l’ECCE HOMO « antonellien »,  douloureux, vaincu, accablé, le regard  perdu dans le vague, avec l’expression typique de celui qui est résigné à affronter la croix.

L’ECCE  HOMO de TROINA.

Entre le XV  et le XVI siècle, les confraternités de l’ECCE  HOMO étaient nombreuses  en Italie méridionale ; en conséquence  les demandes  de représentation figurative du thème devaient être importantes. Ainsi, les neveux d’Antonello, en particulier Pietro, en honorant les diverses commandes  traitèrent  ce sujet. Peu à peu le style du XV ° de l’oncle se trouva libéré de la rigueur  de la technique du glacis, et sur la base des indications de la nouvelle peinture matiériste vue à Venise (rapide, gestuelle), le silence ambiant, les douces cambrures changèrent au profit d’une ascension chromatique vraiment annonciatrice des vibrants clairs-obscurs de la nouvelle manière italienne. Les légers glacis devinrent des empâtements se détachant sur un fond qui n’est plus nécessaire à la focalisation visuelle du sujet.

Dans  l’ECCE HOMO de Troïna, on peut apprécier le contre-jour de  matrice  vénitienne remplaçant le fond habituel de couleur sombre et monotone, témoignage   de l’irrésistible évolution  d’un atelier qui, parti des formes  équilibrées et pleines de sérénité d’Antonello, évolue maintenant vers une composition empreinte d’expressivité passionnée   annonçant  le siècle nouveau, le XVI °  des coloristes, des  « tonalistes ». C’est dans cet environnement, celui de la période de pleine maturité des neveux du Maître, entre 1520 et 1530 qu’il faut placer l’ECCE HOMO de Troïna.

La peinture à l’huile, avec une préparation du fond à la détrempe, est exécutée  sur une tablette de sapin de 36,50 x 50,50 cm et 3 cm d’épaisseur. La partie plate peinte, en excluant  celles  non recouvertes des arrondis, est légèrement moins  grande. Sa face postérieure ne présente aucune trace de peinture. Enfin, la tablette  présente des bords  arrondis  analogues à ceux  des pièces encastrées. Il pourrait s’agir d’un panneau de polyptyque démembré ou  de l’icône d’un gonfalon processionnel privé  de soutien et d’encadrement. Des œuvres semblables peuvent être vues  dans la cathédrale de Sassari peinte par Giovanni Muru et dans l’église de Notre Dame du Règne à Ardara. Le Maïtre d’Ardara a peint au recto  l’ECCE HOMO et au verso la Vierge à  L’Enfant.

Un Christ aussi poignant, humilié, épuisé, dégoulinant de sang, Salvo d’Antonio et Marco di Costanzo,  en 1495 l’ont peint  sur le retable de la très Sainte Trinité, entre Saint Jacques Pèlerin et Saint Etienne, exposé à la Galerie Régionale du Palais Bellomo à  Syracuse.

Le Christ de Troïna apparaît dans un espace scénique délimité en haut, par une frange décorative ornée de dentelle et de chaque côté par  un double rideau replié et  attaché. L’ouverture révèle  un arrière plan  éblouissant de lumière formant une auréole presque circulaire révélatrice de la présence de l’Eternel aux côtés du  Christ dans le lieu de son jugement. Le contre-jour  apparaît d’un extraordinaire effet pictural  et  apporte   une grande intensité  dramatique  en   soulignant  les contours de la couronne d’épines et de l’épaisse chevelure du Nazaréen. Tous les symboles sont  représentés : la tige de  roseau symbolisant le sceptre fragile d’une humiliation sans-pareil ; sur les épaules le manteau de pourpre, rouge vif comme le sang qui suinte sur son visage, sa poitrine et ses mains ; autour du cou et des  poignets,  la corde qui va le tirer  par à-coups sur le chemin  de la Via Crucis et vers le Calvaire ; la couronne d’épines, elle aussi symbole d’humiliation et de souffrance.

Ses mains majestueuses, aux longs doigts fuselés  posées sur sa poitrine comme en signe d’acceptation soutiennent le sceptre, honneur dérisoire  pour   celui qui  est  la risée de tous. La tête  de Jésus est légèrement inclinée vers la gauche tandis que son regard, comme dans  certains portraits  du Maître, est dirigé du côté opposé, vers la droite créant ainsi ce mouvement plein de dynamisme qui donne du réalisme, qui stimule les sentiments de pitié et d’acceptation. La  composition  s’inscrit dans  une structure géométrique rigoureuse ; autour d’elle la couleur devient plus dense. Un V, pointe en bas, constitué  par la corde et par le roseau traverse complètement le tableau pour aller se perdre au-delà du rideau. Ce dernier nous rappelle  les éléments de l’encadrement  « antonellien » du Saint Jérôme dans son Etude (portail vers la route) et de l’Annonciation de Palazzolo  (loggia vers la cour ouverte). La corde, malgré  une imperceptible déviation se trouve dans la continuité de l’arête nasale.

Un cercle parfait, celui de la lumière de l’arrière-fond (auréole, lieu infini du divin) entoure le visage comme pour en marquer la centralité.

L’auteur de cette étude  a découvert  cette œuvre, il y a une vingtaine d’années, dans les réserves des pères capucins de Troïna, peut-être était-elle un des éléments  d’un éventuel polyptyque ou d’un gonfalon. Elle fait partie de la dotation d’art figuratif que les franciscains apportèrent quand ils arrivèrent quelques années plus tard à Troïna pour fonder le couvent  hors les murs.

La pellicule de peinture et le support ne présentent pas des conditions de sécurité et de tenue structurale optimales c’est la raison pour laquelle l’Administration Civique a entrepris le travail de récupération et de remise en valeur. En fait  peu importantes sont les pertes de couleur et les rajouts, ces derniers étant facilement amovibles.

Le nettoyage de la pellicule de peinture et  l’élimination des couches de  vernis de protection, actuellement de couleur  fortement ambrée,  pourront restituer à l’œuvre sa beauté originelle, la luminosité de l’incarnat  et  mettre en valeur le style particulier  à  la manière « antonellienne » caractéristique de la période de plénitude  des neveux du Maître.


Libre opinion de Louis Bortuzzo sur "Les Normands en Italie du Sud"

Ces normands en Italie du sud, si dérangeants, si fascinants !

Merci, André Letourneur, pour le moment de plaisir que vous m’avez procuré  ce bel après-midi de décembre 2016, lors de votre causerie.

 Je voudrais revenir sur la conclusion d’un auditeur: Pour lui, cette aventure se résume à « une histoire de brigands qui a bien tourné » et je trouve  cette  opinion  trop répandue et réductrice.

Il est vrai, ces émigrants peuvent aussi être encensés et gagner leurs lettres de noblesse en devenant  des brigands fréquentables  missionnés par Dieu (peut-être un peu le pape aussi) pour accomplir ses desseins sur notre bonne planète terre. C’est du moins la théorie avancée par les moines « collabos » contemporains des événements.  Cette fois, ces brigands-émigrés deviennent sur l’échiquier politique italien du sud des  marionnettes manipulées.

Soyons justes, on en fait aussi des héros de saga.

Entre ces brigands, ces marionnettes et les héros de saga, n’y aurait-il pas une petite place pour les hommes qu’ils étaient, tout simplement ?

 Merci monsieur le  professeur Léon-Robert Ménager de leur avoir donné  un nom. Maintenant nous connaissons Asquetin de Périers, Guillaume de Pirou, Richard de Saint - Fromond  sans oublier les fils de Tancrède de Hauteville dont le destin hors normes me passionne. Merci  d’avoir osé écrire en 1959, que pour Robert Guiscard la conquête a été certes « une préoccupation constante et qu’elle a absorbé  le meilleur de son activité mais que cette conception bornée du personnage  conduit à une incompréhension  de l’histoire de l’Italie méridionale à cette  époque…. » Naturellement un tel jugement ne peut être partagé par tous.

 L’histoire événementielle que vous avez si bien rapportée, André Letourneur, ouvre la porte à de nombreuses interprétations variant suivant le camp dans lequel on se situe. De ce point de vue rien n’a changé aujourd’hui.

Ces « maudits normands » comme les traite ce pauvre curé  pour ne pas dire  avec nos mots d’aujourd’hui « ces terroristes, ces fils de p…ces criminels  asservisseurs de peuples ». Il est vrai qu’ils avaient tout saccagé dans sa paroisse  et qu’il  ne pouvait payer la dîme due à son évêque.  A l’inverse, certains, bénéficiaires des largesses normandes (terres, paysans pour la travailler, exemptions fiscales etc., etc.…) posaient sur eux un autre regard et nous pouvons les comprendre.

Alors pourquoi nous autres, ici,  continuons nous à penser que ces pauvres fils de Tancrède par exemple, vu l’endroit d’où ils venaient, leur métier, leur éducation, ne pouvaient que finir dans la peau d’émigrants sans foi ni loi, pillant tout sur leur passage pour s’emparer des terres des autres. Curieusement, Guillaume en « montant » en Angleterre, de    bâtard  est devenu « conquérant », Charlemagne en « descendant » en Italie lombarde est devenu « empereur à la barbe fleurie ». Aucun des deux n’est connu comme brigand. Vous connaissez tous le fameux « mariage de la vierge »  au musée des beaux-arts de Caen, peint par le Pérugin, il nous vient  de la cathédrale de Pérouse. Donc Robert Giscard est un brillant stratège mais un  pillard, Bonaparte, un grand général mais un conquérant intègre. Peut-être n’était-il  pas au courant des agissements de ses services. A croire qu’il n’y a que les « nazis » à s’être conduits en brigands comme les normands en Italie. Alors comment ces Hauteville, experts dans les arts de la guerre   « tirant plus vite que leur ombre »  mais possédant  l’âme noire des frères Dalton comme chacun sait, ont-ils pu bouleverser la géographie politique de l’Italie du Sud et de la Sicile et créé les «Italies Normandes» de Mr Martin ou si vous préférez la «Normandie méditerranéenne» de Mr Le Chatelier. Quant au  royaume «  inventé » par  Roger II, nous avons tous lu que  cette création étatique  a été accusée d’être responsable du retard de l’Italie du Sud aujourd’hui, l’Italie  du nord ayant   bénéficié de  l’âge d’or des communes. Cette création des Hauteville  a duré pourtant jusqu’au xix°siècle.

Un grand merci à Mr Maloisel,  Pierre Bouet et François Neveu et à l’école de Caen d’avoir  fait connaitre cette histoire des normands en Italie qui a trop longtemps été occultée par celles des normands en Angleterre.   Aujourd’hui encore, elle  est trop souvent lue comme une série  de luttes intestines entre émigrants ne cherchant qu’à s’accaparer des terres ne leur appartenant pas et sur lesquelles ils voulaient être leur  seul maître. L’histoire aurait vite tourné court. Ce qui me fascine et vous l’avez bien raconté monsieur Letourneur, c’est la triple action   accomplie par les Hauteville : accaparer les territoires gouvernés depuis des lustres par les byzantins, les lombards ou les arabes c’est une chose, créer un état, c’en est une autre  et enfin faire vivre ensemble les populations conquises si différentes par leur culture, leur langue, leur religion, là, cette fois, c’est une gageure…

La première action soulève la question de sa légitimité. Ces Hauteville sont dérangeants. Maîtres dans l’art de la guerre, tant qu’ils se sont comportés en  salariés, ces émigrants  ont été les bienvenus. Les problèmes sont survenus quand ils ont commencé à agir en patrons, pour leur propre compte. Nous entrons dans le domaine froid de la politique. Pourquoi ont-ils réussi à supplanter les gouvernants qui étaient là depuis des lustres qui n’ont pas su  protéger leurs populations et leurs biens. Pourquoi les Hauteville n’auraient-ils pas eu en tête une phrase que prononcera  beaucoup plus tard certes,  un cubain célèbre : « Nous révolutionnaires, avons des convictions et une haute opinion de notre politique ».

La deuxième action naturellement nous laisse entrevoir comment ces normands  ont organisé leurs conquêtes et comment la famille Hauteville a émergé parmi toutes ces grandes familles pour créer un état qu’elle voulait, centralisé. Que d’obstacles, que de rivaux sur le  chemin tortueux menant au pouvoir suprême !   Est-ce que ce genre de chemin est plus aisé à parcourir aujourd’hui ?

La troisième action aborde le rapport qu’ils ont établi avec  les populations colonisées.  Jusqu’où peut aller le syncrétisme, d’autres diraient l’asservissement ? Un descendant d’émigrant  peut-il devenir enfant du pays où ses parents ont émigré ?

 Aujourd’hui, parait-il, l’Histoire n’est plus celle du Moyen Âge. Le Siècle des Lumières  est venu illuminer la route des hommes dessinée par Dieu  sur notre bonne planète.

  « Le destin n’est pas une question de chance, c’est une question de choix » nous dit le rugbyman Fabien Galtier. Ce choix, les Hauteville l’ont assumé et montré ce dont ils étaient capables. Pour que tout change (en ne changeant rien) ils ont utilisé les gens déjà en place, édité des lois pour tous et en même temps pratiqué une politique de communautarisme, réintroduit la religion du pape de Rome tout en limitant son pouvoir et  construit des églises, des palais en exploitant le génie artistique des arabes, des grecs et des normands, pour affirmer leur puissance et pour leur plus grand plaisir et pour le plus grand bonheur du touriste que je suis.

 L’œuvre de ces émigrés est immense et pourtant j’ai l’impression qu’elle n’est pas connue et encore moins, reconnue. Ce ne sont que des émigrants et donc naturellement des « petites gens » comme on dit. ! Le renom ne viendrait-il  qu’avec le nom ?

L’héritage des Normands va passer aux mains des Souabes i.e des Hohenstaufen au grand soulagement des historiens qui retrouvent enfin le « beau linge » des grandes familles régnantes.  Henry, le fils d’un empereur à la barbe rousse arrive au bon moment pour mettre un terme à l’influence de ces émigrés  roturiers normands même s’il faut pour cela qu’il épouse la fille de Roger II  (que personnellement, j’aime beaucoup) pouvant  avoir l’âge d’être sa mère.  La « parenthèse historique »   se referme, l’ « accident fortuit de l’histoire » va se trouver réglé. «  Frédéric II, par une étrange mystification de l’histoire, va devenir la figure symbolique de la Sicile normande alors que cette noble aventure aurait dû s’identifier avec la personne de Roger II ».

Les  descendants des brigands du temps passé  ont créé   des liens d’amitié avec les habitants de Troina. Combien symbolique m’est  apparue  l’inauguration de la place portant le nom de cette ville, dans le bourg d’ Hauteville - la -Guichard. Voir les gens de là-bas et ceux d’ici  se serrer la main aujourd’hui, quel beau jour ! (il y a cinquante ans nous étions encore dans des camps opposés) Alors continuons à apprendre à mieux nous connaitre et à  construire  ensemble, adultes et enfants.  Longue vie au  jumelage Coutances-Hauteville-la-Guichard-Troina. 


Je vous livre les fameuses paroles d’Alexandre le Grand  prononcées en 324 BC, gravées dans le marbre  à l’aéroport de Thessalonique, ville où je devais rencontrer le petit-fils de Roger II  : «  C’est mon vœu le plus cher, maintenant que les guerres touchent à leur fin que vous puissiez tous vivre en paix et que tous les mortels vivent comme un seul peuple, dans l’amitié, pour le bien de tous et voient le monde comme leur patrie, avec des lois communes à tous… ». En 324 avant JC !  

Louis Bortuzzo