Ces normands en Italie
du sud, si dérangeants, si fascinants !
Merci, André Letourneur, pour le moment de plaisir que vous
m’avez procuré ce bel après-midi de
décembre 2016, lors de votre causerie.
Je voudrais
revenir sur la conclusion d’un auditeur: Pour lui, cette aventure se
résume à « une histoire de brigands
qui a bien tourné » et je trouve
cette opinion trop répandue et réductrice.
Il est vrai, ces émigrants peuvent aussi être encensés et
gagner leurs lettres de noblesse en devenant des brigands fréquentables missionnés par Dieu (peut-être un peu le pape
aussi) pour accomplir ses desseins sur notre bonne planète terre. C’est du
moins la théorie avancée par les moines « collabos » contemporains
des événements. Cette fois, ces brigands-émigrés
deviennent sur l’échiquier politique italien du sud des marionnettes manipulées.
Soyons justes, on en fait aussi des héros de saga.
Entre ces brigands, ces marionnettes et les héros de saga,
n’y aurait-il pas une petite place pour les hommes qu’ils étaient, tout
simplement ?
Merci monsieur le professeur Léon-Robert Ménager de leur avoir
donné un nom. Maintenant nous connaissons
Asquetin de Périers, Guillaume de Pirou, Richard de Saint - Fromond sans oublier les fils de Tancrède de
Hauteville dont le destin hors normes me passionne. Merci d’avoir osé écrire en 1959, que pour Robert
Guiscard la conquête a été certes « une préoccupation constante et qu’elle
a absorbé le meilleur de son activité mais que cette conception bornée du
personnage conduit à une
incompréhension de l’histoire de
l’Italie méridionale à cette époque…. » Naturellement un tel jugement
ne peut être partagé par tous.
L’histoire
événementielle que vous avez si bien rapportée, André Letourneur, ouvre la
porte à de nombreuses interprétations variant suivant le camp dans lequel on se
situe. De ce point de vue rien n’a changé aujourd’hui.
Ces « maudits normands » comme les traite ce
pauvre curé pour ne pas dire avec nos mots d’aujourd’hui « ces
terroristes, ces fils de p…ces criminels asservisseurs de peuples ». Il
est vrai qu’ils avaient tout saccagé dans sa paroisse et qu’il
ne pouvait payer la dîme due à son évêque. A l’inverse, certains, bénéficiaires des
largesses normandes (terres, paysans pour la travailler, exemptions fiscales etc.,
etc.…) posaient sur eux un autre regard et nous pouvons les comprendre.
Alors pourquoi nous autres, ici, continuons
nous à penser que ces pauvres fils de Tancrède par exemple, vu l’endroit d’où
ils venaient, leur métier, leur éducation, ne pouvaient que finir dans la peau
d’émigrants sans foi ni loi, pillant tout sur leur passage pour s’emparer des
terres des autres. Curieusement, Guillaume en « montant » en
Angleterre, de bâtard est devenu « conquérant »,
Charlemagne en « descendant » en Italie lombarde est devenu
« empereur à la barbe fleurie ». Aucun des deux n’est connu comme
brigand. Vous connaissez tous le fameux « mariage de la vierge » au musée des beaux-arts de Caen, peint par le
Pérugin, il nous vient de la cathédrale
de Pérouse. Donc Robert Giscard est un brillant stratège mais un pillard, Bonaparte, un grand général mais un
conquérant intègre. Peut-être n’était-il pas au courant des agissements de ses
services. A croire qu’il n’y a que les « nazis » à s’être conduits en
brigands comme les normands en Italie. Alors comment ces Hauteville, experts
dans les arts de la guerre
« tirant plus vite que leur ombre » mais possédant l’âme noire des frères Dalton comme chacun
sait, ont-ils pu bouleverser la géographie politique de l’Italie du Sud et de
la Sicile et créé les «Italies Normandes» de Mr Martin ou si vous préférez
la «Normandie méditerranéenne» de Mr Le Chatelier. Quant au royaume « inventé » par Roger II, nous avons tous lu que cette création étatique a été accusée d’être responsable du retard de
l’Italie du Sud aujourd’hui, l’Italie du
nord ayant bénéficié de
l’âge d’or des communes. Cette création des Hauteville a duré pourtant jusqu’au xix°siècle.
Un grand merci à Mr Maloisel, Pierre Bouet et François Neveu et à l’école de
Caen d’avoir fait connaitre cette
histoire des normands en Italie qui a trop longtemps été occultée par celles
des normands en Angleterre. Aujourd’hui
encore, elle est trop souvent lue comme
une série de luttes intestines entre
émigrants ne cherchant qu’à s’accaparer des terres ne leur appartenant pas et
sur lesquelles ils voulaient être leur seul maître. L’histoire aurait vite tourné
court. Ce qui me fascine et vous l’avez bien raconté monsieur Letourneur, c’est
la triple action accomplie par les
Hauteville : accaparer les territoires gouvernés depuis des lustres par
les byzantins, les lombards ou les arabes c’est une chose, créer un état, c’en
est une autre et enfin faire vivre
ensemble les populations conquises si différentes par leur culture, leur
langue, leur religion, là, cette fois, c’est une gageure…
La première action soulève la question de sa légitimité. Ces Hauteville
sont dérangeants. Maîtres dans l’art de la guerre, tant qu’ils se sont
comportés en salariés, ces
émigrants ont été les bienvenus. Les
problèmes sont survenus quand ils ont commencé à agir en patrons, pour leur
propre compte. Nous entrons dans le domaine froid de la politique. Pourquoi
ont-ils réussi à supplanter les gouvernants qui étaient là depuis des lustres
qui n’ont pas su protéger leurs populations
et leurs biens. Pourquoi les Hauteville n’auraient-ils pas eu en tête une
phrase que prononcera beaucoup plus tard
certes, un cubain célèbre : « Nous
révolutionnaires, avons des convictions et une haute opinion de notre
politique ».
La deuxième action naturellement nous laisse entrevoir
comment ces normands ont organisé leurs
conquêtes et comment la famille Hauteville a émergé parmi toutes ces grandes
familles pour créer un état qu’elle voulait, centralisé. Que d’obstacles, que
de rivaux sur le chemin tortueux menant au
pouvoir suprême ! Est-ce que ce genre de chemin est plus aisé à
parcourir aujourd’hui ?
La troisième action aborde le rapport qu’ils ont établi avec les populations colonisées. Jusqu’où peut aller le syncrétisme, d’autres
diraient l’asservissement ? Un descendant d’émigrant peut-il devenir enfant du pays où ses parents
ont émigré ?
Aujourd’hui,
parait-il, l’Histoire n’est plus celle du Moyen Âge. Le Siècle des Lumières est venu illuminer la route des hommes dessinée
par Dieu sur notre bonne planète.
« Le destin n’est pas une question de chance,
c’est une question de choix » nous dit le rugbyman Fabien Galtier. Ce
choix, les Hauteville l’ont assumé et montré ce dont ils étaient capables. Pour
que tout change (en ne changeant rien) ils ont utilisé les gens déjà en place,
édité des lois pour tous et en même temps pratiqué une politique de communautarisme,
réintroduit la religion du pape de Rome tout en limitant son pouvoir et construit des églises, des palais en
exploitant le génie artistique des arabes, des grecs et des normands, pour
affirmer leur puissance et pour leur plus grand plaisir et pour le plus grand
bonheur du touriste que je suis.
L’œuvre de ces émigrés
est immense et pourtant j’ai l’impression qu’elle n’est pas connue et encore
moins, reconnue. Ce ne sont que des émigrants et donc naturellement des
« petites gens » comme on dit. ! Le renom ne viendrait-il qu’avec le nom ?
L’héritage des Normands va passer aux mains des Souabes i.e
des Hohenstaufen au grand soulagement des historiens qui retrouvent enfin le
« beau linge » des grandes familles régnantes. Henry, le fils d’un empereur à la barbe
rousse arrive au bon moment pour mettre un terme à l’influence de ces émigrés roturiers normands même s’il faut pour cela
qu’il épouse la fille de Roger II (que
personnellement, j’aime beaucoup) pouvant avoir l’âge d’être sa mère. La « parenthèse historique » se
referme, l’ « accident fortuit de l’histoire » va se
trouver réglé. « Frédéric II, par une étrange mystification de
l’histoire, va devenir la figure symbolique de la Sicile normande alors que
cette noble aventure aurait dû s’identifier avec la personne de Roger II ».
Les descendants des brigands
du temps passé ont créé des
liens d’amitié avec les habitants de Troina. Combien symbolique m’est apparue l’inauguration de la place portant le nom de
cette ville, dans le bourg d’ Hauteville - la -Guichard. Voir les gens de
là-bas et ceux d’ici se serrer la main
aujourd’hui, quel beau jour ! (il y a cinquante ans nous étions encore
dans des camps opposés) Alors continuons à apprendre à mieux nous connaitre et à construire
ensemble, adultes et enfants. Longue vie au
jumelage Coutances-Hauteville-la-Guichard-Troina.
Je vous livre les fameuses paroles d’Alexandre le Grand prononcées en 324 BC, gravées dans le
marbre à l’aéroport de Thessalonique,
ville où je devais rencontrer le petit-fils de Roger II : « C’est
mon vœu le plus cher, maintenant que les guerres touchent à leur fin que vous
puissiez tous vivre en paix et que tous les mortels vivent comme un seul
peuple, dans l’amitié, pour le bien de tous et voient le monde comme leur
patrie, avec des lois communes à tous… ». En 324 avant JC !
Louis Bortuzzo
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